Jour 4 de notre campagne d’abonnement à Anne Archet. Soyez wild, faites vivre une autrice érotique & anarchiste : https://www.patreon.com/annearchet
Un gros merci à celleux qui ont embarqué dans le trip jusqu’ici !
Le texte du jour a été publié dans notre numéro du printemps 2021.
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Richard Martineau. L’homme. Le mythe. La légende. L’omni-commentateur qui nous gratifie de ses opinions de marde sur toutes les tribunes depuis plus de trente ans. Un colosse parmi les mortels. Et surtout : la personnalité publique qui a probablement bloqué le plus de gens sur Facebook à l’ouest de la rivière des Outaouais – vous y compris. Vous êtes un lecteur ou une lectrice de L’Idiot utile, alors il a fort à parier qu’il vous a au minimum interdit de commenter ses statuts. Vous ne me croyez pas? Allez vérifier. Oui oui oui, allez voir tout de suite, je vais vous attendre. Ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire, han.
Déjà de retour? Vous avez fort probablement constaté qu’il vous a bloqué·e. Et ce, même si vous n’avez jamais interagi avec lui. Richard a bloqué littéralement des centaines d'individus qui se trouvent le moindrement à gauche du centre sur le spectre idéologique. Bon, je me dois ici d’être précise : vous pourrez peut-être lire ses insignifiances d’une bêtise abyssales et vous pourrez probablement les liker. Mais les commenter? Ah ça non, pas question. Parce que tout le monde a été bloqué par Richard Martineau.
Tout le monde… sauf moi
Mais pourquoi donc ai-je été épargnée de la purge? Il me semble que je corresponds parfaitement à la caricature que Richard fait de ses adversaires. On l’a souvent vu railler les guerrières du clavier qui affrontent les grands de ce monde bien cachés derrière un pseudonyme ridicule. Ça, c’est moi tout craché, puisque ça fait presque aussi longtemps que Richard que j’écris sur le web sous le nom de plume niaiseux d’Anne Archet. On l’a tout aussi souvent vu se moquer des « pansexuelles racisées non-binaires de petite taille en situation de handicap » ; du haut de mes 5’5’’, je peux dire que je me reconnais en querisse. Enfin, Richard n’a de cesse de pourfendre les wokes antifas islamo-gauchistes régressifs multiculturels opposés à la liberté d’expression alliés objectivement aux élites mondialistes. Encore là, qui d’autre mieux que moi correspond à cette description? Personne – si on exclut ses ennemis fantasmés qui ont l’inconvénient de n’exister que dans sa tête.
Bref, s’il y a quelqu’une qui mériterait d’être bloquée par Richard Martineau, c’est bien moi. Et pourtant, il me laisse écrire toutes les niaiseries que je veux sous ses statuts, comme si je faisais partie de ses légions de fans. Je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve ça profondément injuste. Je peux être tout aussi insupportable que la fille d’à côté – et d’ailleurs, je lui en ai parlé et elle aussi est bloquée. Ça me donne l’impression d’être une demi-portion, de n’être même pas assez agaçante pour me valoir le statut de mouche du coche.
Quelques explications m'ont été proposées par mon entourage pour tenter d’expliquer cet oubli impardonnable de la part de Richard. Premièrement, certain·e·s m’ont dit que je ne me suis pas assez intéressé à son cas au cours des dernières années. Pourtant, il figure parmi les 721 strophes de mon deuxième livre (intitulé Amants au cas où vous voudriez le voler chez Renaud-Bray) :
Odule était technicien plasturgiste et n'a eu aucun mal à créer pour moi
Le plug anal à l’effigie de Richard Martineau que je désirais tant.
J’en conclus qu’il n’est pas un de mes lecteurs – et je ne peux pas dire que ça me déçoive outre mesure. D’autres ont évoqué une explication un peu plus plausible. La rumeur veut qu’il y a quelque temps, Richard ait décidé de bloquer tous les ami·e·s de Xavier Camus sur un coup de tête. Or, il se trouve que Xavier m’avait bloquée par erreur juste avant la purge et que j’ai ainsi été épargnée de façon totalement fortuite. Sauvée du blocage par le blocage, en quelque sorte.
Quoi qu’il en soit, si je voulais me faire bloquer, je devais m’atteler à la tâche et vite. Diverses tactiques s’offraient à moi :
Critiquer ses idées
Quelles idées? Laissez-moi vous dire que j’ai vite abandonné cette tactique, parce qu’il n’y avait rien à analyser. Quand le plus fort de ses arguments est de dire «Alloooo ???!?», «Voyons donc» ou «Ils sont fous malades mentaux dans la tête», disons qu’on a vite fait le tour. Richard a beau se plaindre de la gauche postmoderne, il reste l’incarnation la plus achevée de la postmodernité ; un néant qui orbite autour du vide.
Le traiter de raciste, de sexiste, de classiste et de transphobe
Pour Richard, se faire dire qu’il entretient la haine est la preuve de la justesse de ses propos. Selon lui, les féministes sont les vraies sexistes (parce qu’elles ont la haine des hommes), les personnes racisées sont les vraies racistes (parce qu’elles considèrent que l’oppression basée sur la race est réelle, alors que Richard « ne voit pas les couleurs »), les gauchistes sont contre les prolétaires (parce qu’ils sont des petits bourgeois qui ont abandonné les classes populaires au profit des minorités visibles et bruyantes) et les personnes trans… là, c’est moins clair, je crois qu’il pense qu’elles sont juste des malades mentales qui ont besoin de se faire soigner. Richard est convaincu dans son Ford intérieur (Doug de préférence, et pas Rob) qu’il n’a aucun préjugé basé sur le genre, la race et la classe sociale. Par contre, il se sent victime, en tant qu’homme blanc cis straight friqué, de la haine odieuse des méchants militants qui l’oppriment. Ironiquement, chaque fois que je soulignais ses préjugés, il prenait ça comme une preuve de son absence de préjugés – et ce n’est pas comme ça qu’on arrive à se faire bloquer.
Souligner ses contradictions
C’est bien connu, Richard réussit l’exploit d’à la fois toujours taper sur le même clou tout en se contredisant continuellement – parfois dans la même phrase. Il a même reproché à Dany Turcotte de n’être pas en position de se plaindre de l’homophobie qu’il subit en ce moment parce qu’il a lu des jokes plates et homophobes sur un télésouffleur à Piment fort il y a plus de vingt ans. Pourtant Richard a dit tout et son contraire pendant la même période et ça ne l’ennuie pas le moins du monde – du moins, pas assez pour me bloquer.
Critiquer son style
Richard écrit comme un deux de pique, pour les deux de pique. Si vous avez la chance inouïe de n’avoir jamais lu ses chroniques, voici la recette : six-cent mots ou moins, titre et sous-titres compris, une phrase par paragraphe, des verbes conjugués au présent, des mots de trois syllabes ou moins et du vide, du vide… le vide le plus lourd qu’on ne puisse imaginer. Je lui ai fait remarquer que ses chroniques ressemblent à des textes d’opinion d’un élève dans une classe de français de secondaire trois et ça ne l’a pas fait réagir – ni lui, ni ses fans, d’ailleurs.
L’insulter
Richard a l’épiderme fragile. Il a déjà poursuivi un média web vaguement de gauche pour une caricature – en encore là, ce n’était même pas lui qui y figurait, mais sa pierre tombale. Je me suis donc dit qu’il suffirait de quelques insultes bien senties pour enfin arriver à mes fins. Je l’ai donc traité (entre autres) de faux-cul, de lèche-bottes, d’intellectuel de Dollarama, de raclure de bidet, de résidu de fausse-couche et de suceur d’étron. J’ai failli croire que cette dernière insulte allait me mériter un blocage, mais non, tout ça a passé comme du beurre dans la poêle.
Insulter son épouse
Là, c’était un peu plus délicat. Une amie est venue me raconter que Richard n’aime vraiment pas qu’on s’en prenne à son amoureuse et franchement, je le comprends. J’ai longtemps hésité parce qu’entraîner la famille dans tout ça, ce n’est pas très joli. En désespoir de cause, je suis allée jusqu’à dire que Sophie n’est pas la patineuse la plus rapide sur la glace, mais je pense que Richard n’avait pas d’autre choix que d’être d’accord avec moi. Encore une occasion de blocage ratée.
L’infantiliser
Chaque fois que je l’ai pu, j’ai reproché à Richard de ne pas en faire assez pour faire plaisir à son papa Pierre-Karl. Que papa Pierre-Karl n’allait pas être content du tout du tout et qu’il allait le priver de dessert. Car si Richard est un lèche-bottes de façon générale, il est un lèche-Péladeau de façon particulière. Hélas, j’ai dû mal évaluer son complexe d’Œdipe parce que mes moqueries ont été accueillies dans l’indifférence.
Le supplier
Toutes les autres stratégies s’étant soldées par des échecs retentissants, j’ai fini par en être réduite à le supplier de me bloquer. Je lui ai demandé d’abord subtilement, au détour d’un commentaire. Ensuite, je lui ai dit qu’il n’y avait pas de honte à bloquer les gens sur les réseaux sociaux, que c’était son droit le plus strict. Je lui ai ensuite dit que ça ferait plaisir à ses fans, qui commencent à être agacés par ma présence. Je lui ai assuré que c’était mon désir, que je voulais aller rejoindre mes petit·es camarades dans ce monde meilleur exempt de Richard Martineau. Je l’ai mis au défi de le faire. Je lui ai dit qu’il n’était pas game. Je lui ai même dit qu’il ferait un beau geste pour le salut de la patrie. Rien à faire : il n’a pas daigné cliquer sur le bouton bloquer.
* * *
Au moment d’écrire ces lignes, j’ai toujours la permission de commenter les publications Facebook de Richard. Ma longue marche s’est donc soldée par un échec retentissant. Mais pourquoi donc n’ai-je pas pu convaincre Richard de me bloquer, alors que d’autres ont passé à la moulinette pour bien moins que ça?
Hypothèse 1 : mes efforts profitent au rayonnement de Richard
Plusieurs camarades m’ont fait remarquer que mes commentaires incessants sur les publications de Richard faisaient en sorte que sa face à claque réapparaissait sur leur fil d’actualité. Curieux·euse d’en connaître la cause, iels se sont mis à lire les commentaires pour retrouver les miens. Ce faisant, ils ont fait gonfler la fréquentation non seulement du profil de Richard, mais aussi les statistiques de visites de ses chroniques. En voulant jouer à la maline, j’ai contribué malgré moi au rayonnement de Richard – comme s’il en avait besoin. Dans ces conditions, pourquoi me bloquerait-il? Je suis bonne pour ses affaires. Comme quoi même l’activisme et la critique peuvent être récupérés par le système marchand (c’est votre cue pour pleurer, gang).
Hypothèse 2 : Richard aime qu’on lui crache à la gueule
En 2012, Richard nous avait fait candidement le décompte de ses films de lesbiennes préférés. On a depuis l’impression tenace qu’il est un sacré kinkster, ce qui rend plausible l’hypothèse que la soumission et l’humiliation le branche. Je suis allée jusqu’à lui proposer une relation D/s consensuelle où j’aurais pu lui servir mes insultes les plus gratinées et méprisantes et là était peut-être mon erreur : s’il était tenté d’accepter, ce n’est pas comme ça que j’aurais réussi à me faire bloquer.
Hypothèse 3 : Richard s’est peinturé dans le coin avec sa croisade contre la censure
Nous savons tous que Richard ne brille pas par son originalité et qu’il a piqué la majorité des thèmes qu’il exploite dans ses chroniques à l’extrême-droite. On a qu’à lire ce qu’il dit des wokes, c’est du marxisme culturel judéo-bolchévique tout craché. Or, un des thèmes préférés de la droite brune a toujours été la liberté d’expression – la leur et celle de personne d’autre. Se pourrait-il que Richard, à force de crier constamment à la censure, ressente soudainement un malaise quand vient le temps de bloquer une fatikante qui l’implore de se faire bloquer? L’hypothèse est séduisante, mais elle repose sur l’idée que Richard hésite à se contredire et que nous savons tous et toutes qu’il se contredit continuellement, allègrement et sans honte aucune.
Hypothèse 4 : Richard est une marchandise et les marchandises n’ont pas d’amour-propre
Richard est un produit Quebecor et insistons lourdement sur le mot produit. Quand notre parole est à ce point portée par un conglomérat médiatique, on finit par devenir un produit et même pire : une marque de commerce. Richard passe son temps à se lancer dans des guéguerres ridicules contre le journal La Presse et Radio-Canada sous des prétextes tous plus absurdes les uns que les autres. Ce faisant, il ne fait qu’alimenter la stratégie marketing de son patron, qui est de mousser la vente de ses propres produits en dépréciant les autres. Richard pousse si intensément la camelote de QUB, de TVA et du Journal de Montréal qu’on se demande s’il ne travaille pas en réalité pour le département des ventes. Bref, Richard a atteint un stade où il est parfaitement réifié et qu’il ne lui reste plus d’humain que sa face d’ahuri et sa querisse de voix nasillarde. Il est une marchandise et les marchandises n’ont pas d’états d’âme, tant que les chiffres de vente progressent.
Hypothèse 5 : Richard ne lit plus les commentaires
Un ami (dont je tairai le nom et qui a eu le malheur d’avoir été contraint à fréquenter Richard dans des circonstances pénibles) m’a informé qu’il a maintes fois dit qu’il ne lit presque plus les commentaires « pour se préserver ». Après avoir bloqué des centaines de personnes qui ne feraient pas de mal à une mouche (parce qu’elles sont véganes), je me demande de quoi il veut bien se préserver, mais passons. Je suis donc allée le relancer sur Twitter, en me disant qu’il était peut-être plus actif là-bas, mais il semble que son refus de lire les commentaires s’applique aussi à cette plateforme. Sincèrement, je ne le blâme pas, parce que les énormités que ses fans écrivent peuvent entamer la santé mentale des plus coriaces en moins de temps qu'il ne le faut pour dire «Allooo ??!!?».
Haro sur mes compagnons de marche
Pendant ma longue marche pour me faire bloquer par Richard, les seules personnes qui ont répondu à mes critiques, mes insultes et mes supplications sont ses fans. Et quand je dis répondre, croyez-moi, je suis généreuse, parce qu’iels se sont surtout bornés à régurgiter les lieux communs et les mots d’ordre préférés de leur gourou. Voici ce qu’on ma servi, en vrac :
« Ton visage n’est pas sur ta photo de profil, donc tu n’es pas crédible » – souvent par des gens dont la photo de profil est une voiture sport ou le logo des Canadiens de Montréal.
« Tu es une woke contre la liberté d’expression » – là, ils avaient presque raison, parce que je demandais en effet de limiter une liberté d’expression : la mienne.
« Tu perds ton temps, get a life » – je leur faisais alors remarquer que nous commentions tous deux sous les publications de quelqu’un qui ne lit pas les commentaires et donc que nous partagions la même expérience du vide, dans un genre d’apothéose du néant le plus parfait.
« Tu es jalouse de l’intelligence des intellectuels, c’est pour ça que tu les harcèles » – celle-là, je ne l’avais pas vue venir. Nulle part ailleurs qu’au Québec on verrait un dude comme Richard Martineau être qualifié d’intellectuel.
Le meilleur commentaire que j’ai reçu de leur part provenait toutefois d’un septuagénaire qui s’est contenté de me dire le mot «uqam». Pour lui, il s’agissait de la pire des insultes et dans le fond, il n’avait probablement pas tort, parce que ça m’a tellement jeté par terre que je n’ai pas su quoi répondre.
Voilà le nœud du problème, voilà pour qui je m’inquiète : les petites gens que Richard entraîne dans son orbite et qu’il radicalise peu à peu. Sans son influence pernicieuse, ces gens-là mèneraient probablement une vie tranquille, loin des passions morbides de ce siècle, seuls avec leurs vagues préjugés informes et presque inoffensifs. Martineau fait de l’épandage à grand échelle d’un lisier constitué d’idées préconçues et d’analyses de cabochon et ensuite, il feint d’être surpris quand ses fans se métamorphosent en militants conspirationnistes d'extrême droite. Sa position est parmi les plus néfastes de toutes : celle de l'agent de radicalisation qui peut feindre d'être centriste et jouer les innocents quand un de ses followers prend une arme semi-automatique pour assassiner des innocents qu’il harcelait encore l’avant-veille dans ses chroniques à cent dollars le mot.
Dans ses sections commentaires – qu’il ne lit probablement pas – on observe le spectacle désolant de ses fans qui répètent en boucle ses mots d'ordre simplistes et haineux comme les poules dans Animal Farm. Richard Martineau est plus dangereux qu'Atalante et tous ces idiots de Farfadaas réunis, parce qu’il a mille fois plus d'influence qu'eux. Il appartient à la pire catégorie des lèche-bottes : ceux qui pavent la voie au fascisme.
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