Jour 9 de notre campagne d’abonnement à Anne Archet. Pour vous joindre à l’orgie : https://www.patreon.com/annearchet
Le texte du jour est paru dans notre numéro de l’automne 2021. Comme vous le savez probablement, Anne n’a pas été élue. On la soupçonne de mal comprendre les règles du jeu de la démocratie bourgeoise, comme elle le démontre ci-après. Parce qu’autrement, son slogan était parfait.
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Pour un projet d’ensemble collectif ambitieux lucide et de prestige porteur d’avenir dynamique de développement durable autofinancé, ouvert sur le monde, numérique et axé sur nos communautés dans une optique citoyenne et entrepreneuriale pour le bien commun sécuritaire et démocratique
J’ai l’honneur aujourd’hui de vous annoncer ma candidature à la mairie de Montréal. Le fait que j’habite dans le Vieux Hull, que je n’aie aucune envie de déménager à Montréal ou d’assumer les fonctions de mairesse et que je suis de moralité et d'hygiène douteuses devrait normalement faire de moi la meilleure des candidates et suffire à vous convaincre de voter pour moi. Depuis la nuit des temps, tous les bons politiciens et politiciennes ont toujours été les ceuses qui étaient trop incompétents, paresseux ou obsédés par le sexe pour faire leur travail. Or, il se trouve que la nature m’a généreusement pourvue de ces trois qualités, au point où je me dis en toute humilité que je serai la mairesse la plus influente et importante de toute l’histoire de la ville. Si je réussis à entrer à l’hôtel de ville, c’est certain que je vais m’y accrocher comme une tique pour les prochaines décennies jusqu’à ce que je ressemble à une patate ratatinée comme Jean Drapeau.
Le seul obstacle à mon plan grandiose est ma réticence à voir mon nom apparaître sur le bulletin de vote ; je vous fais donc confiance pour l’ajouter à la main lorsque vous serez dans l’isoloir – ou de juste crier « ANNE ARCHET ! » dans l’urne (je ne sais pas trop comment un scrutin fonctionne, je n’ai pas participé à ce genre de fiesta depuis que j’ai annulé mon vote au référendum de 1995).
Je vous présente donc mon programme électoral dont la majorité du contenu n’a pas été copié sur ceux de mes adversaires, juré-craché. J’ai de la vision et de l’envergure moi, hého, han.
DÉCLARATION SOLENNELLE QUI NE COÛTE RIEN MAIS QUI ME FAIT PASSER POUR PLUS PROGRESSISTE QUE JE NE LE SUIS EN RÉALITÉ
Avant de commencer, je tiens à souligner que la mairie a été construite sur les territoires traditionnels des Kanien'kehá:ka. Si je suis élue, j'encourage fortement les Mohawks à occuper l'édifice et d'en faire ce qu'iels veulent – comme le reste de l'île de Tiohti:áke .
Voilà, c'est dit, je peux dorénavant faire comme tous les autres politiciens·nes et oublier que les autochtones existent.
DÉMOCRATIE MUNICIPALE ET PROBITÉ DES ÉLU·ES
Pas besoin de sortir souvent de sous sa roche avec son passeport vaccinal pour savoir que la démocratie se porte très mal à Montréal. Puisque c’est l’hôtel de ville et le conseil municipal qui empêchent principalement nos quartiers de s’occuper de leurs propres affaires, je propose qu’on abolisse tous les postes de fonctionnaires et de conseillers·ères – pour ne garder que le poste de maire. N’allez toutefois pas croire que je préconise la dictature. Même si je voulais, ce serait beaucoup trop de travail et bien trop fatiguant pour moi. En réalité, je veux limiter strictement le rôle de maire à recevoir ma paye aux deux semaines. Et si vous pouviez me payer en bitcoins sur le dark web, j’apprécierais énormément.
J’ai donc l’intention de remettre la gestion de la ville directement aux gens qui l’habitent. Arrangez-vous comme vous le sentez, rassemblez-vous selon vos quartiers, vos quadrilatères ou vos rues, vous êtes des fucking adultes et vous savez quoi faire, je ne commencerai certainement pas à tout mastiquer d’avance pour vous, quand même. J’ai confiance que vous allez mettre en application le reste de mon programme – mais si ça ne vous tente pas, qui suis-je pour vous forcer. Allez-y au feeling, faites comme bon vous semble. Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, j’habite à 250 km de chez vous et j’ai d’autres chats à fouetter (trois dans mon appartement et un nombre incalculable dans ma cour, faites donc stériliser vos minous, cibole).
FISCALITÉ
Personne n'aime payer des taxes. Même les ceuses qui n'en paient pas grâce à de la comptabilité créative et des paradis fiscaux s'en plaignent, c'est dire. Promettre une hausse de taxes équivaut à un suicide politique et n'étant pas plus folle qu'une autre, je me garderai bien de proférer une telle énormité.
En tant que mairesse, je vous assure que toutes mes promesses vont s'autofinancer. Compte tenu que mon programme ne contient à peu près rien – et que « rien » est plus facile à financer que « quelque chose » – même les diplômés des HEC devront admettre que mon administration sera la plus cheapo de tous les temps.
Tant qu'on ne touche pas au poste budgétaire dédié à la corruption de la mairesse, moi ça me va. Merci à l'avance pour le bakchich.
SÉCURITÉ PUBLIQUE
La sécurité, c’est ma priorité. Pas parce que c’est vraiment important – juste parce que ce n’est qu’en faisant peur au monde et en promettant des solutions faciles qu’on peut espérer se faire élire. Tremblez donc, pauvres mortels – et surtout, votez pour moi, votre sauveuse descendue des cieux du Vieux Hull.
Voilà donc pourquoi je promets de m’attaquer au plus puissant et dangereux gang de rue de la ville: le SPVM. Je vais abolir le service et ne garder qu’un seul agent dont l’unique responsabilité sera de surveiller Denis Coderre et Christine Black pour les empêcher de mettre les pieds sur le territoire de la ville. J’entends déjà certains·es d’entre vous me dire que l’un pourrait se faufiler par le nord alors que l’agent serait occupé à surveiller l’autre au sud. À cela je répondrai : peut-être, mais c’est un risque à prendre parce qu’avoir deux policiers signifierait qu’on double les effectifs – et ça, c’est un compromis que je suis incapable de faire.
Le reste du travail de sécurité publique sera assumé par Jean Airoldi; il semble tellement avoir envie de s’impliquer auprès des citoyens·nes, ce serait bête de ne pas le mettre au travail. Toute infraction sera donc punissable d’une contravention de style sous forme d’un certificat-cadeau de 100$ échangeable à Place Versailles, alors imaginez comment on sera bien fringués à force de se faire prendre à commettre le crime de mâcher de la gomme dans un parc après 22h00 tout en ayant la peau brune.
LOGEMENT
La clé de voûte de mon programme est la mise en place du Programme d’abolition de la propriété immobilière (PAPI) qui consistera à exproprier tous les propriétaires sans compensation, abolir les loyers et hypothèques et remettre la gestion et l’entretien des logements à celles et ceux qui les occupent. Comme je l’ai dit plus haut, j’aurai préalablement congédié tous les employés de la ville – sauf le policier chargé d’empêcher Coderre et Black de traverser le pont – alors la mise en place de ce programme devra aussi être assumée par les citoyens·nes elleux-mêmes. Les ceuses qui n’ont pas de logement n’auront qu’à venir habiter dans les bureaux de la ville, ils seront vides et très confortables – surtout si vous aimez vous asseoir cul nu sur une photocopieuse.
Malgré son nom, le PAPI ne comprendra aucune clause grand-père.
TOPONYMIE ET COMMÉMORATION
Il est de notoriété publique que la ville a un problème avec les noms de ses rues et de ses stations de métro. Disons les choses franchement, 90% des individus qui ont donné leur nom à une rue ne méritent pas un tel honneur: des colonisateurs, des conquérants, des idéologues d’extrême-droite, des misogynes hardcore, en voulez-vous en v’la.
Mes amis·es, ayons l'audace de la prudence. Il est clair que personne n’est assez vertueux pour avoir son nom gravé sur une plaque, parce qu’on ne sait jamais ce qu’on va apprendre dans quelques années au sujet d’individus qu’on croit aujourd’hui être au-dessus de tout soupçon. Par exemple, on aurait eu l’air drôlement niaiseux si on avait nommé un parc Claude-Jutra dans les années quatre-vingt. Une chance que cette idée n’a traversé l’esprit de personne à l’époque, han.
Ma solution à ce problème est très simple: changer le nom de tous les lieux publics de Montréal pour «du Parc». À terme, il n’y aurait que des Avenue du Parc, Rue du Parc, Boulevard du Parc, Autoroute du Parc, Promenade du Parc, Chemin du Parc, Ruelle du Parc et Impasse du Parc. Idem pour les stations de métro, qui deviendraient toutes des stations du Parc. Puisque j’aurai préalablement congédié tous les employés municipaux (sauf le policier chargé d’expulser Coderre et Black de la ville), la mesure devra être mise en place par les citoyens·nes elleux-mêmes; dévisser les plaques suffira, parce que de toute façon, tout le monde saura que nous serons sur la rue du Parc.
Si cette mesure sera un peu embêtante pour commander une pizza ou faire venir une ambulance suite à une crise cardiaque due à l’ingestion exagérée de pizza, elle aura l’avantage de nous rendre collectivement impossibles à retrouver par nos créanciers et leurs huissiers. Ou pour les fonctionnaires provinciaux qui voudraient mettre la ville en tutelle.
SCIENCES ET TECHNOLOGIES
Impossible d’avoir un développement économique digne de ce nom sans une politique ambitieuse pour les sciences et les technologies. Voilà pourquoi j’étais tentée en querisse de ne pas en avoir. Sauf que de l’argent, il en faut – ne serait-ce que pour me verser mes bitcoins tous les quatorze jours.
J’ai donc eu une idée géniale en regardant une vidéo sur les fraudeurs nigérians sur YouTube. Si je suis élue, j’encouragerai les Montréalais·es à déguiser les silos à grain du vieux port pour qu'ils ressemblent vaguement à une rampe de lancement. J’enverrai ensuite personnellement et à titre de mairesse les photos de nos « installations » à tous les milliardaires de la planète en leur disant que Montréal leur offre des séjours dans l'espace à des prix défiant toute concurrence. Lorsque lesdits milliardaires se pointeront pour leur balade sur la ligne de Karman, on les foutera dans des cellules à Parthenais pour ensuite rançonner les conseils d'administration de leurs entreprises.
Les sommes recueillies me seront d’abord versées à titre de salaire (pour avoir écrit des emails) et le reste sera redistribué à tous les Montréalaises et Montréalais au prorata de leur revenus – en espérant qu'iels s'en serviront pour acheter de la drogue, car c'est la façon la plus éthique de visiter l'espace.
TRANSPORTS (ET INCIDEMMENT, SPORTS ET LOISIRS)
Évidemment que je vais interdire les fucking bagnoles. Évidemment que je vais électrifier et rendre les transports en commun gratos. Ça, c’est la base.
Il faut toutefois penser aux pauvres agents·es de sécurité de la STM qui vont perdre leur emploi et qui surtout ne pourront plus abuser de leur pouvoir en exigeant des preuves de paiement inexistantes. Je préconise donc que le saut du tourniquet devienne le sport officiel de la ville de Montréal et que les ex-agents·es de sécurité en deviennent les juges et arbitres. Les installations existent déjà, alors ça ne coûtera pas une cenne et imaginez le bienfait de cet exercice pour la santé de nos concitoyens·es. Si ça se trouve, on pourrait vendre les droits de télédiffusion à l’étranger et faire un max de cash, on a juste à laisser les caméras de surveillance rouler. Des records pourront être établis, des médailles pourront être attribuées et des gueules pourront se faire péter suite à des chutes spectaculaires, ce fera de chouettes vidéos virales.
Évidemment, les feignardes dans mon genre auront tout le loisir de juste à passer à côté du tourniquet parce que, heille, je ne suis pas assez payée pour fournir un tel effort.
VOIRIE
C’est mon intime conviction que nous n’apprécions pas suffisamment les trous. Un trou, ce n’est pas juste une cavité ou un creux, c’est aussi du vide entouré de quelque chose. Je vous laisse y réfléchir et vous imprégner de cette sagesse, prenez votre temps.
Il est grand temps que nous cessions notre lutte absurde et désespérée contre les nids de poule. Ils ont gagné depuis longtemps, continuer à se battre n’est que de l’orgueil mal placé. Aimons nos nids de poules, chérissons nos nids de poule, réapproprions-nous les nids de poule, transformons-les en pataugeoires, et attractions touristiques, en site de reconstitution historique de la guerre des tranchées. N’ayez crainte pour votre auto, elle ne subira aucun dommage, car elle sera depuis longtemps confisquée et définitivement parquée sur l’autoroute 40 en souvenir d’un passé aussi obscur que révolu.
Idem pour le déneigement. Si je suis élue, je promets qu’on déneigera partout sauf sur la rue du Parc. Autrement dit : restez-donc chez vous l’hiver et buvez du lait au chocolat avec des guimauves, c’est excellent pour le teint. Ou alors, sortez et profitez de nos activités de glissade dans les nids de poule géants dans le cadre de notre festival « Cratères d’hiver », du 1 au 14 février.
ARTS ET CULTURE
Parlons maintenant arts et culture. Comme tous les autres candidats·tes, j’aborde ce sujet en dernier parce tout le monde s’en querisse solide… mais bon, il faut bien que j’en parle si je ne veux pas passer pour une béotienne auprès des abonnés·ées du Devoir.
Si je suis élue, j'ai l'intention d'abolir toute forme de propriété intellectuelle. Tous les citoyens et citoyennes de la ville auront le droit de s’approprier toutes les œuvres de tous les artistes sans exception, ce qui signifie qu’iels pourront se présenter dans les musées, les librairies et les ateliers pour apporter à la maison toutes les œuvres. On ne fournira toutefois pas de sacs en plastique, parce que c'est tellement wrong. Le même principe sera appliqué aux arts de la scène: tous pourront assister gratuitement à tous les concerts et spectacles. Les citoyennes et citoyens pourront aussi télécharger gratuitement tous les films et toute la musique qu’iels veulent – même si tout le monde fait ça depuis vingt ans, pour être honnête.
«Mais comment les artistes vont pouvoir se nourrir, se vêtir et se loger?», me demandez-vous en chœur. De un, merci de vous inquiéter, c’est rare que ça arrive. De deux, j’ai un plan infaillible : les artistes auront le droit d’entrer où bon leur chante pour dormir dans le lit de leur choix, manger ce qu’ils trouvent dans les frigos et porter les fripes rangées dans les garde-robes. C’est d’ailleurs pour cela que cette mesure sera appelée le «Règlement Boucle d’or» – et votre porridge a intérêt à être juste assez chaud.
MOT DE LA FIN
Montréalaises et Montréalais, votez pour moi, car je suis la seule qui a une confiance totale en vos capacités. Ensemble, vous ferez de grandes choses. Et quand je dis « ensemble » je veux dire « sans moi », parce que j’ai l’intention de donner un sens concret au concept de « Montréal, ville sanctuaire ». Ça voudra dorénavant dire « à l’abri de la présence inopportune de la mairesse ».
Merci de tout cœur pour votre appui !
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